Florian nous raconte ses tout premiers pas dans le pays du tango, du Che et de Messi.
Argentine, Buenos Aires, Argentine, Buenos Aires… J’avais remué ces mots des milliers de fois en moi, avant de quitter le sol parisien. La décision ? Je la pris presque sur un coup de tête, un besoin de partir, de fuir même. Un chagrin d’amour d’abord, puis une envie d’être avec moi, rien qu’avec moi, et me voilà à lire ces mots de trois syllabes qui résonnaient de loin en moi, de temps en temps, s’en allaient puis revenaient, sans que je n’ose les approcher. Ar-gen-tine. Bue-nos-Aires. Nous étions au mois de décembre d’une année passée, et je m’apprêtais à vivre une grande aventure.
Moins de trois mois après ce premier flash et des centaines d’heures dilemmatiques, j’annonce à mon travail ma décision de quitter l’équipe, et à ma famille de les quitter, eux.
Stress. Peur. Impatience.
Trois nouveaux mois passent après ce coming out de voyageur (dans la vie, il s’agit souvent d’aventures trimestrielles), et je me retrouve assis dans cette machine volante, beauté d’aluminium, qui s’apprête à me faire traverser l’Atlantique en quelques heures après des au revoir mémorables.
Stress. Peur. Impatience.
Seul entouré de tous ces inconnus compagnons de voyage, je n’allume jamais l’écran qui me fait face et qui me regarde, sombre, un peu déçu. Je me laisse revoir le film de mes espoirs, de mes doutes, de mes rêves et de mes peurs ; et quelle peur ! Je pense à ces embrassades et à ces regards forts, ceux des êtres qui m’accompagnent dans la vie que je mène. Ils ont peur aussi, ils se demandent pourquoi, pourquoi si loin, pourquoi si longtemps, pour quoi faire ? Moi-même, je n’en ai pas la moindre idée.
Durant tout le vol, je ne ferme pas l’oeil, sans jamais allumer cet écran noir. Je suis juste en moi, profondément perdu je crois, à me demander par quelle magie obscure j’ai tant voulu me bousculer, quitter mon emploi et les miens pour me mettre dans ce siège éjecté à 900 km/h à 10 000 mètres du sol. Je ressasse mes choix, mes erreurs et mes fiertés, tente de soigner coeur blessé par voyage et liberté. Tout le monde dort, moi je pense. Il n’y a plus de stress, seulement peur et impatience.
Puis, j’atterris.
Je pose le pied à Buenos Aires, et le ciel s’éclaircit. Je suis en Argentine, Ar-gen-tine. Le crois-tu ? Nous sommes en juin et je découvre Ezeiza, le grand aéroport argentin, comme un enfant découvre sa nouvelle école. Où sont les copains ? Je m’appelle Florian, Français, 30 ans, récemment célibataire ; “hola!”.
J’ai de l’argent pour vivre plusieurs mois et une envie folle de faire saigner l’encre sur cette nouvelle page qu’il m’a été difficile de tourner. En vrai, je suis en train de le faire à grands renforts de temps et de patience. Je temporise, je m’assois, j’observe. Tous ces gens pressés par principe me rendent heureux d’exister, d’être là devant moi, ce jour-là, ces étrangers que je vais adopter. Je cherche les détails, les accents, les énergies. Je suis à Buenos Aires, cette terre nouvelle que je me suis fantasmée pour renaître, Bue-nos-aï-rès. Le crois-tu ? Je me renseigne, prends du cash au distributeur et monte dans le bus qui m’amène en ville. Direction San Telmo.
Pourquoi ce pays ? Il y a des choses qui s’expliquent mal. Une idée qu’on se fait, un refrain, des couleurs blanches et bleues, Saint-Exupéry, la Patagonie, Messi, Florent Pagny, l’envie d’apprendre l’espagnol et d’être loin, très loin de Paris.
- D’ailleurs, tu parles espagnol ?
- Rien. J’ai fait anglais-allemand. Mais on m’a dit qu’à Buenos Aires on ne parlait pas vraiment espagnol, alors…
- Et la sécurité ? C’est dangereux, non ?
- Pas plus qu’ailleurs, apparemment.
Cependant, mon arrivée au quartier de San Telmo ne fut pas de ces débuts fantasmés : des rues plus ou moins droites, en partie déchargées de ses pavés, des familles sur les trottoirs protégées des premières pluies par des toiles trouées, une ambiance de quartier pauvre sans trop savoir si c’est le cas. J’ai appris plus tard qu’on disait “bohème”, quand nombre de ces pauvres sont artistes entre 16 et 18h. Avant, ils dorment ; après, c’est l’apéro.
Cet après-midi-là, je débarque dans l’auberge que j’avais réservée à la dernière minute, les yeux pleins de rêves et d’interrogations, mais sans peur désormais. Je suis là, pleinement. C’est réel. La vérité éloigne les craintes infondées.
J’ai oublié telle chose en France ? Je vais l’acheter.
Envie d’entendre la voix de ma mère ? WhatsApp.
Comment changer mes euros en pesos ? Je demande. À 300 mètres à l’angle.
C’est tellement simple, en fait.
Je pars marcher sur l’immense Avenida 9 de Julio jusqu’à la rue Florida sous la chaleur tranquille de l’été indien sud-américain et me demande pourquoi je me suis fait tant de montagnes ces dernières semaines, avant même de connaître les Andes. Un sandwich en mains, je me pose en face du Río de la Plata et observe la nuit venir sur Puerto Madero. Je suis heureux.
Le lendemain, je me lance dans des missions pratiques de transfert d’argent, de courses et de cours d’espagnol à trouver afin de survivre dans cet environnement hostile. Cette organisation a surtout pour but de me rassurer si loin de mes repères. Plus tard, je passerai des journées entières à refaire le monde sans me soucier de ma proactivité, dans le plus grand des calmes.
Cependant, j’ai en tête un objectif plus compliqué et j’ignore comment y arriver. Il s’agit de trouver un moyen de rester trois mois à Buenos Aires en limitant mes dépenses. Je commence à chercher une colocation, mais qui voudra de moi si je reste si peu de temps ? Vivre en auberge ? Trop cher. Chez l’habitant ? Pourquoi pas. Il se trouve que j’ai la chance d’être suivi par une bonne étoile qui m’a servie la solution sur un plateau, et elle arrive sous le nom de Louis.
Français également, Louis travaille la nuit dans l’auberge qui m’accueille. Quelques phrases, quelques bières, une soirée qui forgera à jamais notre amitié et quelques jours qui passent : une place se libère afin de travailler comme lui, de nuit, et vivre ensemble dans l’appartement que nous laisse le gérant au 5ème étage. Banco !
Voilà le début d’un voyage qui traversera l’Argentine, le Chili, le Pérou, la Bolivie, l’Uruguay et le Brésil. Seize mois de rencontres, d’amitiés, de rires et de pleurs. Des amours et des départs, toujours, des heures de bus et de stop, une routine qui s’installera dans la volonté contraire, quasi militante, du baroudeur. Des questions, beaucoup, de l’émerveillement, souvent, des souvenirs, des nouvelles de France qui viendront tout basculer, un accident, un jour, qui aurait pu mal tourner, puis le retour, difficile, cruel et merveilleux.
Moins de deux ans après notre rencontre dans cette rue peu esthétique de San Telmo, Louis se marie, près de Paris. Parmi les invités, plus élégant qu’en sac à dos : moi, témoin des premières heures de son amour avec Maita, Chilienne expatriée dans la capitale argentine. Mais c’est encore une autre histoire…
Retrouvez Florian, l’auteur de ce magnifique texte, sur Instagram.
Incroyable, toujours les mots où il faut.
Continue d’écrire !
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