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Notre bonne conscience et l’Amérique Latine

C’est une expérience étrange de vivre sur un autre continent, et de continuer à suivre l’actualité de son pays via les réseaux sociaux et les sites d’infos. Un pied ici, un pied là-bas. C’est d’autant plus déconcertant quand le fossé entre les deux pays, celui d’adoption et celui d’origine, semble se creuser de jour en jour.

Lorsque j’habitais encore en France, en bonne bobo parisienne, je faisais mes courses chez Biocoop, je privilégiais les produits naturels et j’utilisais le Vélib. J’habite aujourd’hui à Buenos Aires, et même si je continue de me déplacer en vélo, j’ai depuis longtemps abandonné l’idée de me procurer des légumes bios ou de tomber un jour par hasard sur une boutique de produits naturels dans mon quartier.

Cela fait 3 ans que j’habite en Amérique Latine. J’ai vu des vieilles télévisions et des sacs plastique flotter dans l’Amazonie. J’ai vu des kilomètres de plages magnifiques au Brésil imbaignables à cause de la pollution industrielle. J’ai vu des fleuves contaminés en Colombie. J’ai vu des champs et des champs arrosés de pesticides toxiques en Argentine, causant malformations, cancers et maladies infantiles.

Après avoir parlé du sujet sur des groupes facebook de voyageuses (« We are backpackeuses » et « Backpackeuses en Amérique Latine« ) j’ai pu voir que mes inquiétudes étaient partagées par de nombreuses voyageuses ayant fait l’expérience de vivre ou voyager dans des pays pauvres, ou en voie de développement. J’ai aussi pu voir que d’autres étaient choquées de mes propos. Certaines étaient pessimistes, d’autres encore pleines d’espoir, citant la légende amérindienne du colibri comme motivation. Honnêtement, je ne sais pas exactement où se trouve la vérité, s’il est encore temps, ou si tout est déjà perdu. Mais le temps d’un article, permettez moi de me faire l’avocat du diable et d’exprimer un point de vue plus pessimiste que ce que l’on entend d’habitude.

Vivre dans un continent pauvre/en voie de développement m’a fait comprendre que les choses sont plus complexes, connectées et inter-dépendantes qu’on le dit. Il est impossible de bien comprendre le problème du réchauffement climatique sans prendre en compte l’histoire du monde, la géo-politique, et la logique du capitalisme.

L’histoire du monde, c’est qu’à travers colonisation, esclavage et exploitation des ressources, les hommes (et surtout l’homme blanc) ont essayé d’amasser le plus de richesses possible. C’est ainsi que le développement de l’Europe fut impulsé en très grande partie par le pillage des ressources d’Amérique Latine. Les matières premières passaient de l’Amérique du sud à l’Espagne (les ressources étaient telles qu’on disait qu’on aurait pu construire un pont d’argent entre la Bolivie et l’Espagne), et cette dernière devait les céder à d’autres pays d’Europe à cause de ses nombreuses dettes.

Vous me direz que c’était il y a longtemps et que ce n’est plus vrai aujourd’hui. Mais quand on regarde ce qu’il se passe aujourd’hui, peu de choses ont changé. Le continent reste très pauvre tandis que les entreprises occidentales continuent de piller les ressources et les mines de Colombie, de Bolivie, du Pérou. De plus en plus d’entreprises s’installent autour du fleuve de l’Amazonie pour sa main d’oeuvre bon marché. L’Amazonie, ce « poumon de la planète« . Et avec l’élection imminente d’un nouveau « Trump » à la tête du Brésil, le problème ne fera que s’empirer.

D’Amérique Latine nous parviennent des tas de matières premières: or, cuivre, minerai de fer, étain, pétrole, nourriture… Ces ressources nous servent à faire des tas de choses, et pas seulement celles qu’on achète en magasin. On fabrique des cables, des immeubles, des autoroutes, des bus, des voitures électriques… Et le prix à payer pour l’extraction des ressources, ce n’est pas nous qui le payons. Il est invisible à nos yeux. On envoie nos déchets dans d’autres continents, et on s’intéresse aux problèmes causés par les déchets seulement quand on risque d’y perdre quelque chose (voir ici comment nos gouvernements ont lancé des campagnes anti pailles quand la Chine leur a dit qu’elle en avait marre de recevoir tout leur plastique).

A la géo-politique complexe s’ajoute la logique non moins complexe du capitalisme. Enfin, en y réflechissant, peut-être que le capitalisme, ça n’est pas complexe du tout, et qu’on peut le résumer en quelques mots: la recherche irréfrénée du profit (Tolstoi, lui parlait « d’esclavage moderne »). Demandez à n’importe quel grand manager ou dirigeant son objectif, il vous répondra: la croissance. Et pour qu’une entreprise grandisse, elle doit réduire ses coûts et utiliser davantage de ressources naturelles (au prix le plus bas possible, bien entendu).

C’est pour ça que 91% de nos vêtements sont importés. Ainsi que 40% de nos fruits et légumes. Et que vos portables sont faits en Chine (je n’ai pas trouvé de chiffres précis mais je ne pense pas prendre beaucoup de risques en disant que la majorité des produits des rayons de la Fnac et Darty ne sont pas fabriqués localement). Ce n’est pas parce qu’en France, on est trop bêtes pour fabriquer ces choses. C’est parce que ça couterait trop cher aux entreprises  de les produire sur place, et trop cher aux consommateurs de les acheter.

Donc qu’est-ce que ça veut dire? Que le confort occidental est basé sur l’exploitation des ressources/personnes dans d’autres pays. Et quand je dis confort, j’englobe les infrastructures publiques (routes etc), les télécommunications (Internet etc), pas seulement le confort « superficiel ». Et que grâce (à cause?) de la mondialisation, on a du mal a faire le lien entre toutes ces choses. Ou plutôt, le lien que l’on fait est erroné. On essaye de prendre des douches courtes mais on ne se rend pas compte qu’acheter des fruits hors saison, où qui viennent de loin, est une action beaucoup plus polluante. On prend sa voiture électrique en pensant bien faire sans réaliser que la conception de ces voitures, en particulier de leurs batteries, reste un gros problème pour la planète (pour en savoir plus sur les énergies vertes).

Aujourd’hui, il est très à la mode d’insister sur le recyclage, le vélo, l’agriculture bio. Comme si c’était à l’individu seul de se battre contre la vague destructice de notre système. Comme si des actions minuscules allaient sauver la planète. J’aimerais le croire. Pendant longtemps, j’y ai cru.

Mais voyez un peu les chiffres (concernant les USA car je n’ai pas trouvé concernant la France): seulement 3% des déchets ménagers viennent des ménages. Les 97% restants viennent des entreprises et de l’agriculture. Concernant l’eau, plus de 90% de l’eau utilisée par les humains l’est par l’agriculture et l’industrie. Les 10% restant sont partagés entre les municipalités et les êtres humains qui vivent et respirent (source).

La part de pollution correspondant à celle des personnes individuelles est ridiculeusement petite face à la pollution des entreprises et de l’agriculture.  On nous fait croire que le changement individuel est égal au changement social. C’est faux. La pression, ce n’est pas aux individus qu’il faut la donner, c’est aux entreprises. Or, ces mêmes entreprises vivent et respirent au rythme de leur mantra obssessif: le profit. Tous les jours, des tas d’hommes d’affaires se réunissent et brainstorm en pensant à comment vendre plus, vendre mieux, acheter moins cher, payer moins, et manipuler à coups de campagnes marketing mensongères. Ironiquement, de nombreux business se sont engouffrés dans le greenwashing, flairant de bonnes affaires. Mais est-ce que promouvoir développement durable et marketing vert a changé des choses au niveau des corporations? Non.

Etonnemment, les mouvements écologiques remettent peu en question le modèle capitaliste, alors que c’est bien lui, la racine des problèmes que l’on rencontre aujourd’hui. Pire encore: avec de plus en plus de profils davantage orientés business que politique à la tête des pays (Trump aux USA, Macron en France, Macri en Argentine, pour ne citer qu’eux), le capitalisme est loin d’être menacé.

Le problème de promouvoir des petites actions individuelles, c’est qu’elles risquent d’être une bonne excuse pour se voiler la face et dire: je fais ma part. Elles servent presque plus à apaiser sa conscience devant les rapports alarmants des scientifiques qu’à vraiment changer les choses. La vérité, c’est que le chemin vers une planète moins polluée est un chemin rempli de privations, de baisse de confort et de résistance face à un système engendrant inégalités et asservissement. Peu importe le ton enjoué sur lequel on en parle, peu importe la forme de communication, cela ne change rien sur le fond du message, qui est reste dramatique et urgent. Et oui, si on veut changer les choses, on va devoir renoncer à certaines de nos habitudes. C’est une obligation, une condition de la  protection de l’environnement.

Au début de la seconde guerre mondiale, Churchill avait prononcé des paroles déconcertantes devant des anglais déjà apeurés et fragilisés : « je n’ai à vous offrir que du sang, des labeurs, des larmes et de la sueur« .

Etait-ce agréable pour nos amis anglais d’entendre de telles paroles dans un contexte déjà si difficile? On peut supposer que non. Mais était-ce une décision courageuse d’oser dire les choses telles qu’elles sont? Sans aucun doute.

Aujourd’hui, au milieu du réchauffement climatique, de catastrophes naturelles et de la sixième extinction de masse, la situation est encore pire qu’en 1940.

Trouvera-t-on un digne héritier de Churchill pour oser exposer les faits et les solutions, sans rien enjoliver? On attend toujours.

PS: Pour ceux que ça intéresse, procurez vous le livre « Ismael » de Daniel Quinn

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5 réflexions au sujet de “Notre bonne conscience et l’Amérique Latine”

  1. Merci pour cet article éclairant et très bien écrit ! Cela fait plaisir de lire ce genre de mots sur un blog de voyageuse 🙂 Car le voyage invite aussi à une réflexion politique.
    Même si nos petites actions ont leur importance, elles sont inutiles s’il n’y a pas un changement de système. Malheureusement, cela n’a pas vraiment l’air d’être d’actualité… Ca ne m’empêche pas de continuer d’optimiser mon comportement pour qu’il soit le plu « eco friendly » possible (bon ok, je prend l’avion), mais je reste lucide sur le faible impact de ces comportements individuels. La décroissance est de mon point de vue la solution. De toute façon si nous ne choisissons pas de nous y mettre de façon délibérée, elle s’imposera d’elle même et de façon violente. Mais gardons espoir, mobilisons nous et montrons l’exemple 🙂

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    1. Tout à fait d’accord avec toi, la décroissance est la seule solution, qu’on le veuille ou non. Espérons que le monde le comprenne le plus rapidement possible, et qu’on arrête de foncer dans le mur avec notre système cassé .

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  2. Carrément d’accord avec toi, j’ai essayé de parler sur mon blog du problème des petits gestes individuels… après je pense qu’il faut pas idéaliser Churchill non plus, sa citation est mise en avant parce qu’elle a beaucoup de style, mais pour moi il ne disait pas seulement les choses “telles qu’elles étaient”, c’est lui qui faisaient les choses et qui choisissait ce cadrage (je sais pas si tu vois ce que je veux dire : y’avait pas forcément toujours de situation “objective” qui justifiait de dire ça, mais selon son cadrage politique à lui, c’est ce qu’il y voyait)

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  3. Oui c’est sûr, Churchill restait un politique comme un autre, et quelque part, sa phrase était sûrement au service de sa stratégie.

    En utilisant cette phrase, mon idée était de montrer qu’on a besoin de politiques plus courageux qui voient les choses en face et qui ne disent pas des choses seulement pour gagner des votes. Combien de politiques seraient capables d’admettre que notre société va drastiquement changer dans les prochaines années/décennies ? Aucuns, même s’ils le savent tous pertinemment.

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