Disclaimer: cet article représente ma vision des choses et mes opinions personnelles. Le sujet étant sensible, je comprends que tout le monde ne soit pas d’accord. Mais je vous demanderai, si vous avez des commentaires, de rester tolérants et ouverts.
Année 1974, à quelques mètres du Jardin des Tuileries à Paris. Une femme s’apprête à monter sur l’estrade de l’Assemblée Nationale pour prononcer un discours historique.
A l’époque, la France danse sur du Claude François et du Michel Sardou, tandis qu’Elvis Presley et les Rolling Stones enflamment les Etats-Unis. En 1974, ça fait 5 ans qu’on a marché sur la lune, et il manque encore 2 années avant le premier vol du Concorde. Leonardo Di Caprio vient de naitre et Charles de Gaulle est mort il y a peu.
Et si vous êtes aujourd’hui un Millenial, il est très probable que vos parents portaient des pantalons pattes d’éph et dansait sur les Bee Gees.
Cette femme qui monte sur l’estrade s’appelle Simone Veil, et sa biographie est impressionnante. Survivante de l’holocauste, Ministre de la Santé nommée par Jacques Chirac, elle sera la première femme à présider le Parlement Européen. C’est l’une des rares femmes députées de l’époque : en effet, elles sont seulement 9 femmes sur un total de 490 députés. A titre de comparaison, elles sont aujourd’hui (en 2018) 224 femmes à siéger à l’Assemblée pour un total de 577 députés.
Menant farouchement son combat pour le droit des femmes, même devant des hémicycles masculins, elle dut faire face à des insultes et des attaques de toute part. Le sujet de l’IVG divise la France ses détracteurs ne lui font pas de cadeau. On l’accuse de vouloir « jeter des embryons au four crématoire », elle qui fut déportée à Auschwitz et qui y perdit pratiquement toute sa famille.
Des années après, elle déclarera : « Je n’imaginais pas la haine que j’allais susciter, la monstruosité des propos de certains parlementaires ni leur grossièreté à mon égard. Une grossièreté inimaginable. Un langage de soudards. Car il semble qu’en abordant ce type de sujets, et face à une femme, certains hommes usent spontanément d’un discours empreint de machisme et de vulgarité« .
Changement de décor, avance rapide de quelques décénnies et traversée de l’Océan Atlantique.
44 ans plus tard, il semble que la même scène se joue, à quelques détails près. Cette fois-ci, nous ne sommes plus en France mais en Argentine.
Les gens ont ont désormais des smartphones, depuis lesquels ils se connectent sur Facebook pour poster des selfies, stalker leur crush du moment, et discuter des derniers sujets d’actualité. Et il se trouve que le sujet brûlant du moment, c’est la légalisation de l’avortement.
Tout le monde commente, s’énerve, poste des vidéos, des statistiques et des articles de journeaux pour justifier sa position. Le sujet enflamme les argentins, d’une nature déjà naturellement enflammée.
Ceux d’entre nous né dans un monde où l’avortement est une évidence ont l’impression de vivre un véritable voyage dans le temps.
Désormais, ce ne sont plus seulement les drôles d’immeubles vintage du centre de Buenos Aires et les chaussures de type plateformes qui donnent l’impression de vivre dans les annes 70. Les gros titres des journeaux et les débats enflammés autour du corps de la femme contribuent à cette impression de retour dans le passé. Retour vers une France que beaucoup d’entre nous, expatriés français, ne connaissent que par la télévision et les récits de nos parents.
Très lentement, à coup de manifestations, de speechs passionnés, de mobilisation permanente et de statistiques alarmantes sur les décès liés à l’avortement illégal (et donc dangereux), les Argentines gagnent peu à peu du terrain, chose difficile dans une société encore très religieuse et conservatrice.
On a comme l’impression qu’un problème dans la matrice nous a ramené dans un passé mal connu, et que l’histoire se réécrit devant nos yeux.
Face à ce drôle de déjà-vu, on comprend mieux à quel point le processus d’évolution d’une société est lent, et à quel point les mentalités peuvent être difficiles à changer. On est ébahis de voir que certains amis argentins, que l’on pensait ouvert et compréhensif, s’offusquent violemment à l’idée que l’avortement puisse devenir légal.
Ne pas oublier que pour que l’on puisse profiter du droit à l’avortement, des femmes (et des hommes) d’autres générations sont montés sur des estrades dans des hémicycles hostiles pour se battre. Que pour nous, ils ont enduré insultes et violences. Ce combat, ils ne le faisaient pas pour eux-mêmes, mais pour toutes celles qui n’étaient pas en position de se faire entendre et de faire valoir leurs droits.
Nous autres « Millenials » oubliont facilement que notre présent est le résultat d’évolutions, de révolutions et de combats portés par des hommes et des femmes qui se battaient pour quelque chose qui les dépassait. Des voyages dans le temps de temps à autre sont de bonnes piqûres de rappel.
«Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu’elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l’avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d’enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême.»
Crédit photo: Mischa Benthé